Tue

(2007)

FREE PDF

Related project: La première phrase et le dernier mot

Tue est fait, pour l’essentiel, de tu; de t-u. Tue explore l’interlocution, le jeu des pronoms, des personnes et des noms.

Christof Migone a relevé, dans un corpus varié (d’Althusser à Tarkos), tous les mots où se trouvent t et u, devenus le matériau du livre. Voici donc une œuvre simple et simple d’esprit, à prendre au pied de la lettre, qui converse en monologuant; parler au tu revient à parler à tu tout en parlant à sa place; disparaissant, le je joue tous les rôles. Sorte de Machine-Brisset monomaniaque, le livre recentre son alphabet autour de cette unité significative minimale (qui lui donne sa note, son ut) : il poursuit de l’autrui caché, traduit du je en autre et tutoie les mots. Par prélèvements systématiques et coutures arbitraires, Tue produit des textes où la seule personne est le constant locuteur-lecteur interpellé, à la fois présent et occulté. Cela donne des textes immédiats, plastiques, sculpturaux — et néanmoins sensés, à leur façon têtue.

Christof Migone est, comme dans La première phrase et le dernier mot (2004), lecteur littéral, commis-classeur et transcripteur. Imposture poétique où le je de l’auteur-lecteur s’avance masqué, Tue pousse son idée fixe dans ses derniers retranchements. Résultat : une œuvre qui oscille entre le poème concret, l’anthologie trouée, l’objet conceptuel et l’essai fumiste.

Le Quartanier, Montréal
QR16, imposture, 208 pages
Couverture de Christian Bélanger
ISBN 978-2-923400-14-3

Scroll down for REVIEWS.

TABLE DES MATIÈRES

I – L’entretue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . 9
II – En t’attendant . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 31
III – Sans je . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .85
IV – Ton non (or some people I no) . . . . .105
V – L’interpellateur . . . . . . . . . . . . . . . . . ..127
VI – Voisins . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..159
VII – Langue Distance . . . . . . . . . . . . . . . 167
VIII – Cent je . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .183
IX – Mig Non . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .195

REVIEWS

CCP (cahiers critiques de poésie), Le Quartanier, 2007, review by Vincent Barras.
Le point de départ de Migone est chez Brisset : « Le mot tu désigna le sexe. Tu sais que c’est bien. Tu sexe est bien. C’est un terme enfantin : cache ton tu, ton tutu… » : progression par calembours, associations sonores, mouvements réflexes (plutôt que réflexions) hors sujet, mais surtout en dehors du sujet. Migone avance pareil : écriture déterminée par des procédés fondés sur sa pure matérialité, tenant ferme à sa propre condition objective, à distance franche de l’intention subjective. Parmi ceux que l’on voit à l’œuvre dans les neuf textes qui composent Tue, un premier procédé consiste à choisir, dans les œuvres d’écrivains tirés de la bibliothèque de Migone, tous les mots contenant les lettres « t » et « u », puis à en composer un récit : celui qui provient de Homme-Bombe de Michaux va ainsi : « Outils. Autres, peut tuer, tuer, tuer, tuer toujours culbutais tue. Tout tube. » ; un autre, à opposer à une composition constituée de mots, semblablement sélectionnés, dans la traduction anglaise d’Idéologie et appareils idéologiques d’État d’Althusser une version française composée sur un mode identique ; un autre encore, à dresser une liste alphabétique de noms tirés de la liste d’adresses de Migone et déformés par le remplacement systématique de la voyelle par « non » ou « tutu » ou « nonnon », etc. Bref, opérations arbitraires et directes dans la chair textuelle, qui font dériver le texte d’origine (plus précisément : le pré-texte) vers une chose autonome, abstraite, au sens pour ainsi dire chimique : abstraite de son point d’origine, mais qui garde quelque chose de la chair initiale, une déformation violente qui, comme un portrait de Bacon, conserve dans la trace même du geste qui la fait surgir un lien organique avec la figure d’origine (ici, le plus souvent, un texte de « grand » auteur, poète, philosophe ou autre référence culturelle majeure de notre temps). Les stratégies textuelles de Migone sont passionnantes, leur rigueur implacable (dérouler toute une œuvre-source, jusqu’à son épuisement) s’allie à une sorte de nonchalance, un humour finalement très personnel. Retour du sujet ? La réponse est dans le dernier texte : « mig non » : collecte de messages trouvés sur la toile où le mot « mignone » s’est trouvé mal orthographié, amputé de son « n » central).

Inter (no. 101 hiver 2008-2009, p.86), review by André Marceau.
Connu surtout pour son travail en art audio et en installation, Christof Migone ne s’affaire pas moins à la pratique d’autres disciplines, notamment l’écriture, comme en fait foi cette parution chez les éditions Le Quartanier.

Un recueil de poésie, dans son sens le pus radical (racine grecque du mot poésie : poiein, qui signifie « faire »), de la pure expérimentation. La plupart des propositions reposent sure deux mots : tue et tu, à partir desquels il décline divers jeux à caractère conceptuel, qui ne sont pas sans rapport avec son travail en art audio : appliquer des systèmes à des sources (ready-made, cut-up) qu’il a préalablement sélectionnées pour des raisons subordonnées au projet en cours. Nombre de ces jeux, en outre, entrent en dialogue avec l’œuvre de divers auteurs et poètes puisée à différentes époques et origines. Par exemple, chacun des textes dans « L’entretue », l’une des parties du recueil, repose sur une œuvre précise (de Marguerite Duras, d’Antonin Artaud, de Maurice Blanchot, de Georges Bataille, d’Henri Michaux ou de Jean-Luc Nancy) où l’auteur relève les mots possédant les ettres t et u. Rapporté dans le monde de l’écriture, tout le côté ludique de ce type d’application systématique apparaît avec plus d’évidence encore (que dans le monde de l’art audio). Mais nous pouvons croire qu’il l’a réalisé ici sans l’assistance d’une machine et que les textes et les auteurs « cités », il les a lus. Dans la mesure où le lecteur connaît ces mêmes textes (et qu’il s’en souvient), ce dernier peut partager une complicité avec l’auteur.

Le plaisir de lire peut se trouver au rendez-vous ici, à condition de ne pas considérer la poésie uniquement comme discipline éminemment personnelle, lyrique, « qui éveille des émotions esthétiques », mais bien dans son sens radical… Admettons que ce type de positionnement éditorial, dans le monde officiel des « éditeurs reconnus », on n’y était guère habitué, au Québec, jusqu’à maintenant. Les éditions Le Quartanier sont parvenues en quelques années à s’imposer dans le milieu officiel de l’édition et à pourvoir le lecteur avec cette veine de la poésie.